L’Époque moderne – Ancrage dans la ruralité
Dernière mise à jour : 1er février 2023
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XVIe - XVIIIe siècle - Lande pastorale, forêt, polyculture
La lande continue de dominer le système agropastoral
Les ravages des guerres de religions se prolongent par de grandes révoltes populaires : disettes et épidémies se succèdent jusque vers 1715 et provoquent un déclin démographique. L’Aquitaine connait néanmoins un essor commercial et économique remarquable entre les XVIe et XVIIIe siècles. L’agriculture y est de loin la principale occupation, mais le commerce domine les activités et induit des aménagements : endiguement de l’Adour et assainissement des barthes pour améliorer la navigation. De nombreux villages-ports se développent, Peyrehorade devient une étape commerciale.
Le vin est un élément majeur du commerce en Aquitaine. Mais dans le département des Landes, cette production reste très localisée. Le port de Bayonne enregistre un essor spectaculaire depuis l’ouverture du nouvel estuaire de l’Adour. Il reçoit les vins de Chalosse et du Béarn puis l’eau-de-vie venue d’Armagnac, nouveau produit d’exportation au début du XVIIe siècle.
Une grande partie du territoire est en fait dominée par un système agricole traditionnel - le système agropastoral - mêlant cultures et élevage. Le territoire se compose de trois types d’espaces : les landes, faites de végétation rase et spontanée, la forêt et les exploitations agricoles et leurs cultures.
La lande domine alors que les surfaces cultivées sont très réduites. L’élevage extensif - pacage des moutons sur la lande - procure la fumure pour les terres agricoles. Le blé et le millet sont les fondements du système agricole. Le maïs apparaît au XVIe siècle mais sa culture n’est généralisée qu’au début du XVIIIe siècle.
Début de l’exploitation systématique du pin maritime au XVIIe siècle
La forêt de pin maritime fournit essentiellement la gemme et le goudron. La fabrication du goudron est développée par Colbert pour les besoins de la marine et au XVIIe siècle, la distillation de la résine sépare l’essence de térébenthine des brais et colophanes.
- Lande et forêt sur la carte de Cassini (relevés vers 1762)
- BnF Gallica. Carte générale de la France. 137, [Cazau]. N°137. Flle 161 / Aldring sculp[sit] ; [établie sous la direction de César-François Cassini de Thury]
Les pignadars du littoral sont plantés depuis le XVIIe siècle et grâce à la forêt, les Landais conquièrent de vastes terres et donnent une valeur aux sables. Les frères Desbiey exposent dès 1776 “la meilleure manière de tirer parti des landes de Bordeaux quant à la culture et à la population”. Ils démontrent que des routes permettront à la fois de faire circuler les marchandises et d’assainir la lande grâce à leurs fossés latéraux. Sur les talus extérieurs, G.Desbiey projette de planter non seulement des pins et des chênes mais aussi des peupliers d’Italie, de Virginie, ou des platanes. Leurs mémoires, exploités dix ans plus tard par l’ingénieur Brémontier, valent à ce dernier la gloire discutée d’avoir fixé les dunes littorales.
L’accroissement des pignadars dès le XVIIIe siècle
L’absence de drainage et la rareté des communications excluront de grands ensemencements jusqu’au XIXe siècle. Le seul département des Landes compte environ 70 000 hectares de pignadars en 1789 - une surface qui passera à 149 000 hectares en 1852.
- Carte de la forêt des Landes vers 1750-1800
- Carte réalisée d’après les cartes de Cassini et de Belleyme.
In C. Jolivet, Les sols du massif forestier des Landes de Gascogne, Revue forestière fr., 2007
Après les premières cartes topographiques de Claude Masse, les cartes générales de Belleyme (1761-1787) et de Cassini (1773-1784) représentent ces territoires ruraux traditionnels. L’intendant Boutin, à l’origine des cartes de Belleyme, voulait en effet savoir l’étendue des déserts qu’il voulait défricher, la situation des dunes et des côtes.
Les cartes de Belleyme font apparaître des secteurs forestiers, les pignadas, les dunes libres, sans aucune fixation forestière et les landes immenses dans toute la moitié nord du département. Sur celles-ci, s’éparpillent les parcs à moutons, les marais, les champs, les bosquets de feuillus dans les airiaux, les quartiers disposés près des rivières. Ces cartes témoignent notamment de l’importance de la forêt dans le pays du Marensin. Elles montrent également que les landes existent aussi dans les coteaux de Chalosse. Appelée “tuya”, la lande utilisée comme compost, restera jusqu’à la fin du XIXe siècle un élément fondamental du paysage rural du sud du département.
La société rurale, caractérisée par sa très grande hiérarchisation, est dominée par un grand nombre de petits propriétaires exploitants et surtout une foule de métayers qui exploitent les terres de la bourgeoisie urbaine. Le XVIIe siècle connait ainsi une paupérisation des classes paysannes. Les villageois les plus vulnérables ont vendu leurs terres à des voisins nantis ou à des bourgeois des villes proches. Beaucoup de laboureurs perdent leur indépendance, tandis que se développe le métayage.
Un capitalisme rural perfectionne le système agro-sylvo-pastoral : la forêt est portée par le dynamisme d’une élite foncière, l’enrichissement de quelques familles se traduit par le développement des pinèdes et des métairies. L’un des signes les plus visibles de cette hiérarchisation de la société rurale réside dans les formes, l’architecture et la taille de l’habitat : maisons de maître avec toit à trois eaux et auvent, maison avec toit à quatre pentes des métayers, petite maison des journaliers…
Nouveaux châteaux, routes royales et forges
Le début du XVIIe siècle marque également l’épanouissement et le renouveau architectural des châteaux, symboles de l’ascension sociale des familles et de l’arrivée de la grande bourgeoisie commerçante.
Le renouveau catholique est également stimulant pour la construction (Dax reconstruit sa cathédrale).
L’influence des grands chantiers dans les châteaux et les églises se retrouve plus modestement sur les décorations de la maison bourgeoise de Chalosse ou maison capcazalière.
La grande politique royale pour les routes est lancée dès Sully et Colbert mais malgré tous les efforts (surtout entre 1775 et 1784) les obstacles restent nombreux et les réalisations rares. En 1787, seule la route Dax/Mont-de-Marsan - Roquefort est considérée comme bonne.
Les forges (à Uza en particulier) et faïenceries (à Samadet) sont les deux industries les plus importantes au XVIIIe siècle. Il reste en témoignage plusieurs hauts-fourneaux et étangs (Uza, Brocas-les-Forges, Pontenx-les-Forges,..). Le minerai est extrait de la garluche, grès à ciment silico-ferreux qui présente une teneur en métal pur de 12 à 16 %. (Voir La garluche, pierre de la lande)
Un département en manque de ville importante
En 1790, lorsque les Landes deviennent département, les limites reprennent globalement celles des anciens diocèses ecclésiastiques. Nombreux parleront d’une appellation “odieuse” et d’une union “contre-nature" des riantes collines de la Chalosse, du Tursan et du Bas-Armagnac, au sud, avec le grand plateau des landes sablonneuses, parsemées de maigres bouquets de pins et de chênes, et à peine peuplé au nord”. En effet, à la fin du XVIIIe siècle, l’impression de diversité domine. Entre Chalosse, Grande-Lande et pays côtiers, les contacts et les échanges sont réduits, aucune ville ne prime véritablement, et plusieurs veulent être le chef-lieu du département : Mont-de-Marsan, Dax, Tartas, St-Sever, Aire-sur-l’Adour.
Représentations : le désert landais
À partir de la Renaissance, les images deviennent un peu plus nombreuses. Les représentations iconographiques sont essentiellement cartographiques et les gravures représentent les deux villes importantes du département, Mont-de-Marsan et Dax.
Cette vue de Mont-de-Marsan est attribuée au graveur Joachim de Weert datant du début du XVIIe siècle. La ville est représentée ceinte de ses remparts sur un fond paysager collinaire juste esquissé, sans véritable souci de réalisme.
En dehors de ces villes, les représentations des paysages des Landes restent peu nombreuses aussi bien par le texte que l’image.
A partir du XVIIIe siècle, l’ancrage du stéréotype du désert landais et de ses paysages désolés
Le stéréotype du paysage désolé et malsain est déjà en germe au XVIIe siècle. En témoigne, cet écrit de 1654 de Louis Coulon (1605-1664), géographe et historien.
« Dacqs, ou plutôt Acqs est à deux lieues de Saint-Sever, assise sur les bords de la même rivière, avec un pont qui la couronne (…). La terre n’y porte que des bruyères et des pins sauvages d’où découle la poix et la résine. L’air est empli de grosses mouches, qui sont plus importunes au voyageur pendant l’été, que les ardeurs brûlantes du soleil et des sables. Le langage vous épouvante et le pain commun n’est fait que de mil. » [1]
À la fin du XVIIIe siècle, les paysages des Landes sont maintenant amplement décrits et les Landes vont peu à peu entrer dans l’imaginaire collectif. Les descriptions se partagent entre enchantement et désir de conquête souvent mêlé à un certain mépris. Le désert devient un haut lieu du « pittoresque », quête de la surprise qui s’impose à la fin du XVIIIe siècle.
Le regard extérieur porté sur les Landes, véhiculé par les écrits, les récits de voyage, les mémoires d’administrateurs, évoque essentiellement le sable, l’immensité, un silence de fin du monde, la désolation et des habitants farouches.
« Les habitants des Landes sont des espèces de sauvages, par la figure, par l’humeur et par l’esprit ».
L’intendant Lamoignon de Courson, 1715 [2]
En 1758, après avoir traversé les « Grandes Landes », le poète Claude Chriseul de Rulhière confie ses impressions :
« Nous traversâmes
Des sables, de vastes déserts,
Des forêts de pins toujours verts,
Sans oiseau, même sans ombrage,
Le dépouillement des hivers,
Est moins triste que leur feuillage,
Aucun son n’y troublerait l’air,
N’étaient les cris qu’aux cieux envoient
Quelque voyageur qui se perd,
Ou des loups qui manquent de proie. »
De Rulhière, 1758 [3]
« La boussole est aussi nécessaire ici pour s’orienter que sur l’océan ; ce vaste désert de sablonnières calcinées offrant partout un centre et de circonférence nulle part, formait aux origines, le fond du lac Stys par lequel juraient les Dieux ».
José de Vieira, 1778
Des paysages qui inspirent la répulsion
Au mythe du désert sec et brûlant, s’ajoute l’horreur de l’agression olfactive venue du marais, du palus, de la lagune : ce sont des lieux de stagnation, de fermentation et de décomposition. Le marais est pensé comme une plaie ouverte qui met la surface de la terre en contact permanent avec la putréfaction du sous-sol, par des émissions de vapeurs fétides. Les hygiénistes dénoncent « ces cloaques infects de la mort, ces asiles de la fièvre et de la misère. »
Le comte Jacques-Antoine de Guibert, expert militaire et écrivain, emprunte la route des Grandes Landes de Bordeaux à Dax en 1775. Ses propos sont cependant plus nuancés.
« Toujours landes et bois de pins appelés dans le pays pignadas. Tout ce pays pauvre et stérile à l’œil, n’est cependant pas inutile et misérable. Le commerce des bestiaux, qui trouvent dans ces landes un pâturage excellent, la vente de la résine et des bois, y sont deux grandes sources de richesse. Presque toutes les maisons qu’on voit dans ces Landes sont bien bâties, ou en pierre ou en bois, avec des entre-cloisonnements en briques ou en terre, bien blanchies par-dessus ; elles sont toutes couvertes de tuiles. »
Jacques-Antoine de Guibert, 1775. In : Voyages de Guibert dans diverses parties de la France et en Suisse, faits en 1775, 1778, 1784 et 1785 ,... ouvrage posthume publié par sa veuve, D’Hautel, 1806
Les échasses, figure pittoresque et symbole d’isolement et d’archaïsme
La représentation des bergers des Landes juchés sur leurs échasses est déjà bien installée en cette fin de XVIIIe siècle et commencent à fasciner. Après les avoir accablés d’un excès de mépris, la littérature admire en eux des créatures proches de Dieu, des poètes vivant dans l’enchantement de leurs horizons infinis. »
« La folklorisation des échasses a commencé, très tôt, en 1745 précisément quand l’intendant de Bordeaux fit aligner 50 bergers sur échasses pour saluer l’infante d’Espagne qui « montait » à Paris épouser le dauphin de France.
Et peu à peu l’échasse devient un symbole et l’affirmation d’une identité.
Marie-Dominique Ribéreau-Gayon, 2000 [4]
En 1808, quand Joséphine traverse les Landes pour rejoindre Napoléon à Bayonne, des échassiers suivent le carrosse impérial sur un long parcours. Les dames de la cour leur jetèrent des pièces d’or et admirèrent la remarquable adresse dont ils firent preuve pour s’en emparer. L’épisode mérita une telle publicité qu’en 1811, un vaudeville sur échasse était représenté sur les scènes parisiennes Les habitants des Landes, et joué dans la France entière jusqu’en 1830. Le décor était saharien... l’image romantique des Landes était née ».
Jean Sargos, Les Landes, naissance d’un paysage, 1989
De la répulsion au sublime et au Romantisme du XIXe siècle
À la fin du XVIIIe siècle, plusieurs courants vont peu à peu faire entrer les Landes dans l’imaginaire collectif. Le concept du « sublime » va se développer, comme alternative à la beauté classique basée sur l’harmonie. L’effroi, la terreur, la stupeur d’être confronté à la force incommensurable de la nature enchantent. La tempête, l’orage, la contemplation de l’immensité créent un choc qui submerge l’âme sensible. Tout cela contribue à expliquer désormais l’attraction de la mer, de la montagne, de la forêt et du désert. Le lyrisme conquérant et l’enthousiasme des pionniers désirant coloniser les Landes vont également faire naître un paysage. Les Landes passent pour un continent inexploré, une sorte d’Afrique intérieure. Hostile et déshérité, le désert landais va peu à peu fasciner et faire rêver.
Mais c’est essentiellement dans la première moitié du XIXe siècle que la littérature exalte ces sentiments.
Le littoral, un paysage peu révélé
Rares sont les descriptions du littoral landais avant le XIXe siècle. Celles de Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, en 1767, n’en sont que plus précieuses.
« On traverse l’étang pour arriver au Vieux Boucault et on trouve au milieu de la forêt de très grands morceaux de vignes qui étaient dans du sable pur comme s’il était là pour sabler l’entourage. Ce vin est celui qui est fort connu dans beaucoup de pays sous le nom de vin de Cap Breton. Au Vieux Boucault encore on l’appelle vin de sable… […] J’ai remarqué que les vignes qui produisent ce vin sont coupées d’espace en espaces de murs de paillassons pour rompre l’effort des mauvais vents. […]
Il y a quelquefois de grandes plaines vides et il y en a qui le sont devenues parce que les pins ont été brûlés. Mais où j’ai passé, il ne reste point de ces vestiges affreux d’incendie que j’ai vu à l’Estrelle et dans les bois de Saint-Tropez. Ici ce qui a été brûlé a été coupé et toutes ces forêts de pin sont infiniment plus belles que elles sont je viens de parler parce que les arbres sont plus grands et plus droits et parce qu’il n’y a point ou presque point de ces vilains cantons de broussailles si communs en Provence, parce qu’ici le terrain est uni et que l’autre est montueux. On ne tire point de résine en Provence, on en tire ici. »
Citation extraite de : Voyages de Monsieur de Malesherbes : Le regard d’un homme exceptionnel sur l’Aquitaine au XVIIIe siècle, Cairn, 2013.
Sources
– Ce chapitre résulte d’une reprise augmentée et illustrée d’une étude consacrée à l’histoire des Landes et à leurs représentations pour une première version, non publiée, de l’atlas des paysages (2004).
[1] Citation extraite de : Je vous écris des Landes » Pimientos, 2014.
[2] Cette citation extraite de l’Atlas des paysages de 2004 n’est pas référencée. La source n’a pu être retrouvée.
[3] Id. Il s’agit sans doute de José de Viera y Clavijo (1731-1813), homme d’église, historien et écrivain espagnol.
[4] Ribéreau-Gayon Marie-Dominique. Chemins et regards croisés dans les Landes de Gascogne : du XVIIIe siècle à nos jours. In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-3/2000. Migrance, marges et métiers. pp. 175-196 ; https://www.persee.fr/doc/mar_0758-4431_2000_num_28_1_1715