Paysages de nature : les motifs des peintres et des photographes
Dernière mise à jour : 29 juillet
Accès direct
Pour appréhender les représentations culturelles des paysages landais, la bibliographie est riche en quantité et en qualité. Mais cette littérature, surtout historique et ethnographique, ne s’attache généralement qu’à un seul type de paysage, celui de la lande, aujourd’hui disparu.
L’analyse de l’évolution des représentations montre à quel point les paysages des Landes ont été les objets de fantasmes et de multiples projections. Les images qui ont été produites sont d’une puissance telle, qu’elles continuent d’alimenter l’imaginaire collectif. C’est particulièrement le cas de la lande, paysage à jamais disparu mais alimentant toujours un champ riche de recherche historique, ethnographique, esthétique. La forêt dans toutes ses composantes, le littoral, ses dunes et l’immensité de ses plages de sable fin, les courants et les marais plus secrets constituent les autres motifs récurrents des paysages landais tels que les ont décrits les peintres et les photographes.
La lande perdue
Ces approches sont bien sûr essentielles pour comprendre la « fabrication » et l’évolution d’un paysage identitaire [1] qui a constitué une grande part du territoire. Mais elles contribuent, sans doute à leurs dépens, à donner une image des paysages landais déconnectée de la réalité géographique et sensible.
Les nombreuses expositions, les dizaines de livres ou publications [2] consacrés aux photographies et au travail d’ethnographie de Félix Arnaudin (1844-1921) ont permis de diffuser à un large public des images des landes autour de Sabres. Alors que ces paysages sont en train de disparaître, Félix Arnaudin les éternise à jamais. Ses photos, à la fois documentaires et nostalgiques, d’une grande qualité graphique, continuent de fasciner, mais concourent aussi à ancrer les paysages du département des Landes dans le passé.
L’écomusée de Marquèze a consacré plusieurs expositions au travail du photographe de Labouheyre. En 2010, une exposition [3] Sur les traces de Félix Arnaudin confronte les images de la lande de Félix Arnaudin et celles d’aujourd’hui au travers du travail de Jean-Joël Le Fur. En photographiant les mêmes lieux un siècle plus tard, il donne à voir l’évolution du territoire et, en s’éloignant du registre de la nostalgie, contribue à redonner aux photos d’Arnaudin leur intérêt documentaire.
Les pins, la forêt, comme substituts de la Lande
« Maintenant la lande n’existe plus. Au désert magnifique, enchantement des aïeux, déroulant sous le désert du ciel sa nudité des premiers âges, à l’étendue plane, sans limites, où l’œil avait le perpétuel éblouissement du vide, où l’âme, élargie, enivrée, tantôt débordait de joies neuves et enfantines, tantôt s’abîmait dans d’ineffables et si chères tristesses, a succédé la forêt, la forêt industrielle ! Avec toutes ses laideurs [...], dont l’étouffant rideau, partout étendu où régnait tant de sereine et radieuse clarté, borne implacablement la vue, hébète la pensée, en abolit tout essor. » Félix Arnaudin [4]
Si une partie de la forêt des Landes est d’origine naturelle, notamment sur certaines parties du littoral, c’est à partir de la fin du XVIIIe siècle que les dunes ont été volontairement fixées grâce à des peuplements de pins. Puis, tout aussi volontairement, à partir du milieu du XIXe et jusqu’au tout début du XXe siècle, ce sont les immenses espaces agro-pastoraux de la lande et des marais, qui ont été systématiquement plantés de pins maritimes (pinhadar ou pinède en Occitan). Cette forêt, la plus étendue du territoire métropolitain, couvre aujourd’hui une très grande partie du territoire départemental.
Les forêts de pins maritimes qui ont permis la mise en valeur de la lande sont assez rarement représentées, sinon pour leurs lisères, dont les lignes ferment souvent les horizons. Même si quelques panoramas sont possibles depuis les hauteurs, au sud du département, il faut attendre la photo aérienne oblique et son développement dans les années 1950 pour que l’espace forestier landais commence à s’appréhender comme un paysage à part entière. En dehors de ces images, surtout documentaires, les artistes essaient plutôt de saisir et de traduire des ambiances dans lesquelles le « pittoresque » des métiers de la forêt (résiniers, gemmeurs, bûcherons…) joue un rôle important de caractérisation.
Le chemin, la route et la forêt
La route ou le chemin qui traverse la masse sombre des alignements de pins, devient pour les artistes ou photographes, un moyen de faire advenir le paysage de la forêt.
Entre Morcenx et Mont-de-Marsan, Arengosse est situé en pleine forêt landaise. Edmond Fontan poétise ici un paysage « ordinaire », dénué de pittoresque. Le motif de la route rectiligne, dans un mouvement ascendant, conduit le regard vers le ciel et les frondaisons des arbres que la brume enveloppe.
Cette carte postale en noir et blanc des années 1970 est cadrée afin que la route ou le chemin, en ouvrant un espace de lumière dans la forêt uniforme de résineux, lui offre un statut de paysage.
Les travailleurs de la forêt, figures de l’imaginaire landais
Comme le berger et la lande, le résinier, le gemmeur a été longtemps le personnage indissociable des espaces forestiers landais. Anciennes ou plus contemporaines, ces images tendent cependant, à s’effacer au profit de celles, moins flatteuses des travailleurs de l’industrie forestière armés de tronçonneuses et autres déblayeuses.
Le photographe hongrois François Kollar, dans cette prise de vue en contre-plongée, illustre, par ce parti-pris esthétique fort, la force identitaire de la figure du résinier landais. L’homme, le travailleur, le pin, ici ne font qu’un.
Surnommé le Nadar du pignadar, Emile Vignes aime et connaît la forêt et ses habitants. Cette photographie, à la différence de celle de Kollar, est davantage du côté de la documentation ethnographique que de la mise en scène artistique. Mais de la même manière, l’arbre y est mis quasiment sur le même plan que l’homme qui le saigne.
L’airial, la maison landaise, un paysage et une organisation sociale
L’airial est un paysage héritier du système agro-pastoral disparu des landes. Popularisé grâce à l’écomusée de Marquèze à Sabres, ce sont surtout les photographes qui se sont emparés de ce paysage identitaire des espaces landais.
L’airial est un espace de vie, de travail et de production vivrière ouvert à la circulation des hommes et des bêtes. Alors qu’il était un îlot de boisement dans la lande dénudée, il s’est transformé, au fur et à mesure du boisement de la lande, en une clairière enserrée dans une vaste pinède. La photo de Félix Arnaudin met en évidence l’organisation spatiale de l’airial : dispersion des éléments bâtis, grand espace libre dans lequel se détachent les silhouettes des arbres feuillus.
Selon Jacques Sargos, les artistes peintres qui traitent avec précision de la maison landaise dans son environnement sont rares. François-Maurice Roganeau, habitué du Pays basque, peint, à Mimizan, une ferme traditionnelle landaise, blanchie à la chaux et ornée d’une treille. Au sein de son airial, la maison semble fragile posée ainsi sur la pelouse. Mais le peintre la montre aussi bien à l’abri, protégée par les deux immenses chênes qui confèrent à la clairière que l’on devine, intimité et quiétude.
Pour fabriquer cette image, le photographe s’est éloigné de la maison, et ouvre ainsi le champ sur l’organisation spatiale dans laquelle elle prend place : plantations régulières de chênes, bottes de foin (ou ruchers ?) disposées non loin du corps principal de la ferme, et en arrière-plan, une ligne régulière et transparente de pins ouvrant sur la masse compacte au loin de la forêt.
La dune, entre forêt et océan
La lutte contre l’avancée inexorable du sable dans les terres, recouvrant et rendant incultes landes et cultures est, depuis le milieu du XVIIIe siècle, un élément fondateur de l’histoire du département et de son paysage côtier. Qu’elles aient été « construites » de la main de l’homme par la mise en place d’obstacles artificiels le long du rivage, fixées grâce à la plantation de l’oyat ou des ajoncs, puis de pins maritimes, les dunes racontent le paysage si particulier du littoral landais. Si on ajoute à cette histoire, les qualités esthétiques, le caractère un rien exotique, la proximité de l’océan de ces amas de sables, on peut comprendre pourquoi les dunes ont pu devenir un motif récurrent et si présent des représentations paysagères.
La dune boisée est représentée dans sa simplicité : quelques arbres (feuillus et résineux) la parsèment, un chemin sableux la coupe verticalement guidant le regard vers un ciel lumineux où se détache, légère, une ligne sombre de pins.
Au bord de l’océan, les pins chahutés par les vents se prêtent au dessin. Le peintre landais Jean- Roger Sourgen a fait des arbres du long de la côte et des étangs un de ses motifs de prédilection.
Les pins des dunes de Capbreton : moins tourmentés que ceux du peintre Jean-Roger Sourgen, mais tout aussi graphiques !
Le lac, le courant, le marais et la lagune
Le lac, l’étang
Les lacs qui s’échelonnent du nord au sud de la côte landaise sont les paysages parmi les plus emblématiques du département. Leur pittoresque, indéniable, a inspiré de nombreux artistes.
Cette œuvre du chef de file de l’école bordelaise de peinture est encore inspirée par la peinture de Corot : les frondaisons des arbres, le paysage tout entier sont imprégnés d’un voile vaporeux.
Le peintre qui a repris maintes et maintes fois le motif du lac, rend ici, avec beaucoup de sensibilité, mais dans un style très graphique, la brume matinale, les vapeurs légères flottant au-dessus du plan d’eau. Il met en scène, comme un décor de théâtre, un paysage empli de douceur, de calme et de tempérance.
Cette photographie à vocation documentaire de l’étang de Soustons donne encore une autre image du plan d’eau. Si les ambiances restent calmes et tranquilles, la présence des barques, des maisons, donne une tonalité moins abstraite au paysage, plus humaine et habitée.
Plus près de nous, le peintre landais Gaston Larrieu montre aussi toute la richesse du motif de l’étang. On devine à l’arrière-plan la dune qui le ferme. La végétation, l’eau, le ciel sont représentés en mouvement, les barques que l’on devine au premier plan, à l’abri du vent.
Le courant
Comme les lacs, les courants, ces petits fleuves côtiers de quelques dizaines de kilomètres de long, exutoires des étangs, sont pour de très nombreux habitants des éléments identitaires des paysages départementaux. Les peintres et les photographes ont été aussi nombreux à les représenter. Le long de leur cours quand ils cheminent dans des ambiances végétales denses et boisées, au moment de leur rencontre avec la ville ou le village, à leur embouchure, au moment où ils vont se jeter dans l’océan, les images sont nombreuses et décrivent autant de variétés d’ambiances.
Ce tableau dépouillé de L.-A. Auguin décrit l’embouchure du courant de Contis, sa plage, ses dunes boisées. Le courant dont on suit le cours jusqu’à la mer, guide le regard vers le large et l’infini de l’océan.
Aujourd’hui, le débouché de l’étang d’Aureilhan très urbanisé présente moins d’ambiances naturelles que celles évoquées dans cette photographie de la toute fin du XIXe siècle.
Ce document daté du tout début du XXe siècle marque l’amorce du rapprochement des paysages amont du courant d’Huchet avec une « petite Amazonie ». Le fleuve circule en effet au milieu d’une « forêt-galerie » que l’on descend en barque jusqu’à son embouchure appuyant cette comparaison chargée d’exotisme à moindre frais. Cette image « vendeuse » pour les touristes en quête de nature préservée reste utilisée aujourd’hui, puisque le courant est aujourd’hui classé et protégé.
A l’embouchure du courant d’Huchet, le photographe joue avec les codes et motifs de la peinture en faisant poser des baigneuses le long du courant dont le ruban, encadré de dunes végétalisées, dirige le regard vers l’océan.
Le marais, la lagune
Avant que l’ancienne lande ne soit assainie par la création de fossés de drainage, puis par la plantation de pinèdes au XIXe siècle, les marais étaient constitutifs de l’espace landais. A l’exception de quelques-uns, beaucoup ont disparu. Le marais d’Orx, aujourd’hui protégé, semble faire exception mais il s’apparente plutôt aux étangs littoraux qu’aux marais de l’intérieur (les lagunes) dont beaucoup de traces ont aussi été effacées par le drainage.
Parce qu’ils compliquent l’image des landes désertiques, les marais sont finalement peu présents dans l’iconographie landaise ancienne. C’est sans doute le chef d’œuvre de Théodore Rousseau, Un Marais dans les Landes, qui en fera un paysage digne d’être peint.
Ce tableau du peintre Théodore Rousseau constitue l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre. Conservé au musée du Louvre, il a inspiré de nombreux peintres après lui et de nombreuses reproductions ont permis de le populariser. (Voir le tableau original dans l’article consacré à l’évolution du regard sur la lande).
Le mot lagune désigne, dans les Landes, les petites étendues d’eau douce qui très nombreuses autrefois sur la lande. Elément de paysage identitaire, on le retrouve dans de nombreuses photographies du début du siècle, souvent associé au berger et à son troupeau de moutons.
Par sa très belle composition, cette carte postale datant de la toute fin du XIXe siècle, donne une grande valeur poétique au paysage de la lagune.
Pour les Landais, les marais constituent d’abord un lieu de ressource cynégétique. Mais au-delà de la présence centrale extrêmement expressive des chiens et du gibier qui en fait d’abord un tableau de chasse, ce tableau du peintre J.B. Gélibert réussit à faire ressentir l’ambiance très particulière du marais landais.
Les paysages cultivés : un motif négligé
Peu d’artistes se sont attachés aux paysages agricoles des Landes. La Chalosse fait timidement exception.
Le peintre daxois donne ici un rare panorama depuis la Chalosse vers la Grande Lande boisée. La ferme installée au sommet de la colline, entourée de bosquets d’arbres est caractéristique du paysage chalossais. Les cultures en contre-bas se présentent sous la forme de parcelles régulières.
[1] L’histoire de l’évolution du regard sur les Landes entendues comme « paysage naturel », depuis les origines jusqu’au milieu du XIXe siècle, a été traitée dans l’atlas des paysages de 2004. Les articles reprenant en grande partie ce travail, complété et enrichi lui sont consacrés dans la rubrique Histoire des paysages et des regards.
[2] On compte environ une quinzaine d’ouvrages consacrés au travail du photographe édités depuis 10 ans.
[3] Cette exposition fait suite à la publication par Jean-Joël Le Fur et Charles Daney d’un ouvrage intitulé Sur les traces de Félix Arnaudin ou les métamorphoses des Landes, édité aux éditions Confluences en 2008.
[4] Cité dans le dossier de presse de l’exposition : Felix Arnaudin, le guetteur mélancolique, œuvre photographique, 1874-1921, Ecomusée de Marquèze, 2017